COVID-19: Quelles consequences sur les délais de procédure?
Face à la propagation de la pandémie de coronavirus, la maîtrise du temps s’avère être la clef de voûte pour bien évidemment les médecins, soignants, chercheurs, et plus généralement l’ensemble du secteur médical, mais également pour toutes les entreprises afin de préserver leurs droits, leur survie donc, et de facto celle de l’économie française.
Dans ces conditions, en matières civile et commerciale, se pose légitimement la question de la conciliation du respect des règles de droit, d’origine légale ou contractuelle, qui imposent le respect de certains délais, avec les contraintes pratiques qui peuvent s’avérer être de véritables obstacles. En effet, les délais de prescription, de forclusion, de péremption d’instance, etc. continuent à courir… Comment les interrompre ou les suspendre alors que l’activité des huissiers de justice a été drastiquement restreinte ? Comment exécuter les diligences attendues normalement de la part des parties suivant les calendriers de procédure qui avaient été mis en place dans le cadre des procédures en cours ? En cas de désordres ou de sinistre, comment respecter les délais de notification, imposés parfois sous une forme impérative par le contrat ou par la loi, alors que, d’une part, les services postaux sont aléatoires, et d’autre part, il n’est pas certain de pouvoir rapporter la preuve de la formalité accomplie ?
Voici les premiers éléments de réponse, lesquels sont naturellement susceptibles d’évoluer en fonction des décisions que le gouvernement sera amené à prendre.
Procedures en cours ou a engager
Madame La Garde des Sceaux a annoncé la fermeture de toutes les juridictions depuis le lundi 16 mars, avec des exceptions pour des audiences relevant de “contentieux essentiels”, lesquels concernent essentiellement le droit pénal puisque les libertés fondamentales des personnes sont en jeu. D’un point de vue civiliste, relèvent de cette catégorie:
- “les audiences du tribunal pour enfants et du juge pour enfant pour la gestion des urgences, notamment pour l’assistance éducative;
- les référés devant le tribunal judiciaire visant l’urgence, et les mesures urgentes relevant du juge aux affaires familiales (notamment immeubles menaçant ruine, éviction conjoint violent);
- les audiences auprès d’un juge des libertés et de la détention civil (hospitalisation sous contrainte, rétention des étrangers);
- les permanences au tribunal pour enfants, l’assistance éducative d’urgence”
Concrètement, chaque juridiction a mis en place “un plan de continuation d’activité” ; une certaine marge de liberté ayant été laissée au Président de chaque juridiction. Partant, il est difficile de généraliser la règle d’un report automatique des audiences de procédure, voire même d’une suppression pure et simple des audiences programmées, même si cela est une tendance notable qui a pu être observée dans plusieurs juridictions.
Il est donc impératif de se renseigner auprès de chaque juridiction ; un examen au cas par cas s’impose donc.
Dans l’attente de mesures législatives à venir, suivant une “Dépêche de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS) sur l’audiencement des référés civils et la conservation des procédures sur requête urgentes”, rendue publique le 20 mars 2020, les précisions suivantes ont été apportées s’agissant de l’introduction de nouvelles procédures en matière de référé:
” 1. Les audiences de référé
Le juge de référé est le « juge de l’évidence » et la procédure de référé n’est ouverte devant le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection que dans deux hypothèses:
- en cas d’urgence, lorsque les mesures ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou sont justifiées par l’existence d’un différend (article 834 du code de procédure civile);
- pour ordonner les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, et ce même en présence d’une contestation sérieuse (article 835 du code de procédure civile).
La condition d’urgence prévue par l’article 834 du code de procédure civile résulte de la nature de l’affaire et non de la convenance des parties. Si l’urgence est étroitement dépendante des faits de chaque espèce, elle n’est caractérisée que dans les cas où il est avéré qu’un retard dans la prise de décision du juge préjudicierait aux parties.
Le recours à la procédure de référé dans de nombreux litiges qui ne répondraient pas à ces conditions, et en particulier celle de l’urgence, priverait les justiciables dont l’affaire réunit effectivement ces conditions de la possibilité d’accéder au juge des référés dans des délais raisonnables.
Dans ce contexte, il relève de la compétence du président de la juridiction de veiller à réserver la procédure de référé aux demandes qui réunissent les conditions imposées par les articles précités et d’adapter les délais de renvoi au degré d’urgence des affaires (…)”
Quid des delais de prescription et de forclusion?
Les 19 et 20 mars 2020, est discuté au Parlement le “Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19” (“la Loi” ci-après).
Cette Loi vise à autoriser le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de sa publication, toute mesure “adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, cessation d’une mesure ou déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation, cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions” (article 7.2 b)). Ces délais pourront être adaptés, interrompus, suspendus ou leur terme reporté jusqu’à trois mois après la fin des mesures de police administrative prises par le Gouvernement pour ralentir la propagation du virus (prévue à ce jour le mardi 31 mars 2020).
Ces mesures pourraient avoir un effet rétroactif : la Loi prévoit en effet que ces mesures soient rendues applicables à compter du 12 mars 2020.
Il convient donc d’attendre une ordonnance, laquelle devrait, en toute logique, poser des règles uniformes et harmonisées pour éviter des divergences entre les tribunaux et permettre ainsi de respecter le principe de sécurité juridique.
Sans préjudice du contenu de cette ordonnance à intervenir, le droit positif contient déjà des dispositions qui pourraient s’avérer utiles:
- S’agissant des délais de prescription : en droit commun, l’article 2234 du Code civil dispose que “la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure“. A notre connaissance, les tribunaux n’ont pas encore fait application de cet article dans le cadre d’une pandémie, ou de la mise en place d’un état d’urgence sanitaire.
L’appréciation du cas de “force majeure” devra-t-elle alors faire l’objet d’une appréciation au cas par cas ? Cela n’est pas certain et tout dépendra des mesures législatives à venir, étant précisé que le Ministre de l’économie et des finances a d’ores-et-déjà annoncé que le coronavirus COVID-19 sera considéré comme “un cas de force majeure” pour les entreprises en particulier au regard des marchés publics de l’État, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles (voir son discours du vendredi 28 février 2020). Quoi qu’il en soit, cette affirmation de Monsieur le Ministre sera à tout le moins un élément d’appréciation très important dans l’analyse qu’un juge ferait de l’existence ou non d’un cas de force majeure.
Il est par ailleurs à supposer que le terme “loi” visé dans cet article 2234 serait interprété de manière relativement large par un juge comme englobant non seulement la loi au sens strict comme le texte législatif voté par le Parlement, mais également les mesures prises par décret ou arrêté par le pouvoir exécutif.
Reste enfin à voir si cette disposition fera l’objet par les tribunaux d’une interprétation extensive aux délais de forclusion, lesquels sont en principe exclus du champ d’application dudit article 2234 (voir article 2220 du Code civil). - S’agissant plus particulièrement de l’interruption du délai de prescription biennale en matière d’assurance (article L. 114-2 du Code des assurances), si l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception est, suivant une jurisprudence fermement établie, considérée comme une “formalité substantielle”, il a déjà été jugé que “celui qui entend se prévaloir de l’interruption de la prescription biennale résultant de l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception et qui ne peut produire ni le récépissé postal de cet envoi, ni l’accusé de réception, ne peut être admis à faire la preuve d’un tel envoi par témoins ou présomptions que s’il démontre au préalable l’existence de circonstances le mettant dans l’impossibilité matérielle de présenter ces pièces“ (Cass. Civ. 1°, 26 nov. 1996, 94-16844).
- En matière de ventes internationales de marchandises, dont la Convention de Vienne du 11 avril 1980 constitue la réglementation par défaut, l’article 38 dispose que “L’acheteur doit examiner les marchandises ou les faire examiner dans un délai aussi bref que possible eu égard aux circonstances“ : il devrait donc être possible de se prévaloir des “circonstances” exceptionnelles au niveau mondial pour l’appréciation de la durée dudit “bref délai”.
- Enfin, les causes de suspension légales ne trouvent en principe pas à s’appliquer aux courtes prescriptions du droit des transports. Toutefois, la jurisprudence a reconnu que la règle contra non valentem agere non currit praescriptio, codifiée à l’article 2234 du Code civil, s’appliquait également aux actions issues de contrat de transport (pour un exemple en transport CMR – Cass.com., 13 septembre 2017, n°16-12.093 ; en transport terrestre interne – Cass.com., 28 novembre 2000, n°98615646 ; en transport maritime international – Cass.com., 11 janvier 1994, n°92-10241, bien que la suspension de la prescription n’ait pas été retenue en l’espèce car le titulaire de l’action disposait encore du temps nécessaire pour agir lorsque l’empêchement a pris fin). Ainsi, la suspension de ces prescriptions obéira au droit commun et aux considérations exposées ci-dessus.
Conclusion
A l’aune de ce qui précède, il convient de ne pas négliger les dispositions de notre droit positif qui admettent la preuve électronique, et plus généralement la dématérialisation des procédures pour l’accomplissement de toute diligence:
- l’article 1367 du Code civil dispose ainsi la signature électronique est valable si “elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identification du signataire assurée et l’intégralité de l’acte garantie (…)”;
- l’article 748-1 du Code de procédure civile dispose que “les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions jurisprudentielles peuvent être effectuées par voie électronique (…)”.