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Exécution Et Reconnaissance Des Jugements Entre La France Et Le Royaume-Uni

Briefing
29 July 2025
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Après des années d’incertitudes, la situation des entreprises françaises désireuses d’exécuter ou de faire reconnaître une décision de justice au Royaume-Uni devrait désormais s’améliorer.

Depuis le 31 décembre 2020, la reconnaissance et l’exécution d’un jugement français au Royaume-Uni et vice versa avaient été rendues très incertaines par l’expiration de la période de transition postérieure à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne.

Le 1er juillet 2025, la Convention de La Haye de 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale est entrée en vigueur au Royaume-Uni, quelques mois après sa ratification par le gouvernement britannique le 27 juin 2024. Elle est en vigueur en France et dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, à l’exception du Danemark, depuis le 1er septembre 2023.

Avant le 31 décembre 2020

Les justiciables français et britanniques qui souhaitaient faire reconnaître et exécuter une décision de justice obtenue dans l’autre pays bénéficiaient d’une reconnaissance quasiment automatique de la décision rendue, sur le fondement des articles 36 et s. du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, dit “Bruxelles 1 bis” applicable au sein de l’Union européenne.

Selon l’article 39 en effet, “une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire.”

La reconnaissance et l’exécution ne pouvaient être refusées que dans les cas limitativement énoncés à l’article 45 du règlement, notamment en cas de caractère manifestement contraire à l’ordre public de l’Etat membre requis ou en raison de l’existence d’une décision inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans cet Etat membre.

Ces règles demeurent applicables dans les relations entre le Royaume-Uni et les pays de l’Union européenne à toutes les instances introduites avant le 31 décembre 2020. Elles restent bien entendu également valables entre pays de l’Union européenne.

Entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2025

Avant le 1er juillet 2025, il n’existait plus de règles générales applicables pour faire reconnaître et exécuter un jugement français en matière civile et commerciale au Royaume-Uni et inversement1.

La Convention de La Haye sur les accords d’élection de for du 30 juin 2005 était certes applicable, mais son champ d’application est limité aux décisions rendues par une juridiction qui a été désignée par un accord exclusif d’élection de for. La reconnaissance est susceptible d’être refusée pour une série de raisons listées par la Convention.

Pendant cette période intermédiaire, pour faire appliquer une décision française au Royaume-Uni, il était donc nécessaire de se conformer aux règles du droit commun britannique, lesquelles prévoient des conditions cumulatives :

  • la décision doit être finale et définitive ;
  • elle doit porter sur somme d’argent définie ;
  • la juridiction étrangère doit avoir été compétente ;
  • la décision n’a pas été obtenue de manière frauduleuse ;
  • elle n’a pas été rendue en violation des règles naturelles du droit et notamment des droits de la défense.

Pour obtenir l’exequatur, il fallait saisir à nouveau une juridiction britannique et demander une décision par procédure simplifiée (“summary judgment“). Ce processus pouvait cependant s’avérer long et coûteux.

A l’inverse, pour faire exécuter une décision britannique en France, il était nécessaire de déposer une demande d’exequatur devant le Tribunal judiciaire du lieu du domicile du défendeur.

Le juge français devait alors vérifier la compétence du juge étranger, que la décision soit conforme à l’ordre public international français et qu’elle ne résulte pas d’une fraude à la loi.

Ces règles demeurent applicables à toutes les instances introduites entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2025.

Depuis le 1er juillet 2025

La Convention de La Haye de 2019 s’applique aux jugements civils et commerciaux et n’inclut pas les matières fiscales, douanières ou administratives, pas plus que le droit des personnes ou d’autres matières comme le transport de passagers et de marchandises. Elle s’applique tant aux jugements, qu’aux arrêts ou aux ordonnances.

Si elle ne prévoit pas une reconnaissance automatique comme le Règlement Bruxelles I bis, la Convention porte néanmoins le principe que la reconnaissance et l’exécution doivent intervenir sans une nouvelle analyse de la décision au fond.

Un jugement sera reconnu et exécuté s’il a force exécutoire dans l’Etat d’origine et s’il satisfait aux conditions alternatives énoncées à l’article 5 de la Convention. Cette disposition prévoit treize cas alternatifs, dont certains d’une complexité non négligeable. Il s’agit essentiellement de s’assurer que la décision a été rendue par une juridiction compétente, ayant un rattachement avec le litige.

La reconnaissance ne peut être refusée que s’il existe un manquement dans la notification de l’acte introductif d’instance au défendeur, si le jugement résulte d’une fraude, si la reconnaissance est manifestement incompatible avec l’ordre public de l’Etat où la décision doit être exécutée, ou s’il existe une incompatibilité entre la décision en question et une décision rendue dans cet Etat (ou une décision rendue dans un autre Etat qui est susceptible d’être reconnu dans l’Etat requis). Comme dans la Convention de 2005, il est prévu que l’Etat requis peut refuser la reconnaissance ou l’exécution de décisions qui accordent des dommages et intérêts non-compensatoires d’un préjudice réel subi. Cette disposition vise spécifiquement les dommages et intérêts exemplaires ou punitifs prévus par le droit américain mais la rédaction très large de cette disposition pourrait susciter des débats.

La Convention tient compte de cas de litispendance en prévoyant que la reconnaissance ou l’exécution peut être refusée ou différée lorsque le tribunal de l’Etat requis a été saisi avant le tribunal de l’Etat d’origine et qu’il existe un lien étroit entre le litige et l’Etat requis (art. 7.2).

Dans une époque où les modes alternatifs de règlement amiables se développent, il est à noter que les transactions judiciaires homologuées par un tribunal d’un Etat contractant sont reconnues et exécutoires selon les dispositions de la Convention. En revanche, l’arbitrage en est exclu, disposant d’instruments internationaux spécifiques.

Pour faire reconnaître un jugement français au Royaume-Uni, il faudra déposer une demande d’enregistrement à la High Court, produire la décision de justice certifiée conforme et attester de son caractère exécutoire.  Pour faire reconnaître un jugement britannique en France, il faudra déposer une demande d’exequatur devant le Tribunal judiciaire du lieu du domicile du défendeur. Les seuls motifs de refus de reconnaissance ou d’exequatur sont ceux figurant dans la Convention.

Pour les justiciables français souhaitant faire exécuter une décision au Royaume-Uni, l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye apporte donc enfin une plus grande sécurité juridique et simplifie la procédure d’exécution de la décision.

Barthelemy Taÿ-Pamart, juriste, a également contribué à cette note d’information.

Note de bas de page

  1. Il existe un traité bilatéral en date du 18 janvier 1934 mais son applicabilité postérieure à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est très incertaine.