Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) et assurances de responsabilité : De l’impact de la loi Sapin II pour les assureurs D&O / RC et leurs assurés, Février 2017
Accusé jusqu’à alors d’inertie en matière de lutte contre la corruption, le législateur français a réagi en adoptant la loi Sapin II, promulguée le 9 décembre 2016, qui prévoit une sanction pénale innovante, la “peine de programme de mise en conformité”, et introduit dans le dispositif répressif français la “Convention Judiciaire d’Intérêt Public” (CJIP).
Cette transaction, inspirée des Deferred Prosecution Agreeements (DPA) américains et anglais formalise une contractualisation de la justice répressive que doivent prendre en compte les assureurs.
Qui peut proposer une CJIP ?
Aux termes du nouvel article 41-1-2 du Code Pénal le Procureur de la République peut, avant toute action publique, proposer à une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, trafic d’influence, ou d’autres infractions visées à la loi, la conclusion d’une CJIP qui mettra un terme à l’action publique.
Cette proposition peut également intervenir en cours d’instruction à condition toutefois, dans cette hypothèse, que la personne morale reconnaisse les faits et qu’elle accepte la qualification pénale retenue.
Quel sera le contenu de la CJIP ?
La personne morale se verra ainsi proposer de prendre à sa charge une ou plusieurs des obligations suivantes :
- versement d’une amende d’intérêt public au profit du Trésor ne pouvant excéder 30% du chiffre d’affaires (éventuellement échelonnée sur un an) ;
- mise en place d’un programme de conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (pendant une durée maximale de trois ans) ;
- indemnisation des victimes identifiées.
Validation et effets de la CJIP ?
A l’issue d’une audience publique le Président du Tribunal de grande instance, saisi par une requête du Procureur qui contiendra un exposé précis des faits ainsi que la qualification juridique susceptible de leur être appliquée, décidera de valider, ou non, la proposition de convention.
Le Président appréciera notamment le bien-fondé et la régularité du recours à une CJIP, la conformité des mesures mises à la charge de l’entreprise, et leur proportionnalité aux avantages que l’entreprise a tiré des “manquements” résultant des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption.
Si le Président rend une ordonnance de validation, celle-ci n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’est pas assimilée à un jugement de condamnation. La décision du Président n’est pas susceptible de recours, mais la personne morale dispose d’un délai de 10 jours pour se rétracter.
Impacts pour les dirigeants sociaux ?
La loi stipule que seules les personnes morales peuvent être parties à la CJIP.
Dans la mesure où les assurances Responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS) ont vocation à couvrir la responsabilité des seuls dirigeants, la CJIP ne semble donc a priori pas les concerner.
Reste que si les dirigeants sont exclus du dispositif, la loi précise néanmoins que “les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques”, et qu’en tout état de cause la CJIP éteint l’action publique “sans faire échec au droit des victimes de poursuivre la réparation de leur préjudice”.
Autrement dit, une fois la CJIP conclue (et publiée sur le site de l’Agence française anticorruption accompagnée de l’ordonnance de validation), les dirigeants demeurent exposés à des recours devant les juridictions civiles, ou des poursuites devant les juridictions pénales.
Or, leur marge de défense sera alors extrêmement limitée puisque la personne morale aura reconnu les faits et leur qualification pénale (dans l’hypothèse d’une CJIP en cours d’instruction), ou ad minima accepté une proposition fondée sur une requête aux termes de laquelle les faits sont “précisément” exposés par le ministère public.
Les dirigeants (et leurs assureurs) risquent donc de se retrouver dans l’impossibilité de mettre en place une défense commune et concertée avec la personne morale. Nul ne peut, en effet, écarter l’hypothèse de voir la personne morale “sacrifier” ses dirigeants afin d’éviter une condamnation et une inscription au casier judiciaire qui interdirait, par la suite, de soumissionner à des marchés publics.
Incidences au regard des garanties de responsabilite civile ?
Si tant est que la proposition formulée par le Procureur de conclure une CJIP puisse être considérée comme une “réclamation” au sens de la police, la loi Sapin II est également susceptible d’avoir un impact pour les assureurs de responsabilité civile de la personne morale.
En premier lieu, la conclusion d’une CJIP ne fera pas obstacle à des poursuites en réparation de leur préjudice de la part de victimes non-identifiées. Partant, la conclusion d’une CJIP devra bien entendu être envisagée par l’assuré au regard des dispositions de l’article L. 124-2 du Code des assurances (“L’assureur peut stipuler qu’aucune reconnaissance de responsabilité, aucune transaction, intervenues en dehors de lui, ne lui sont opposables. L’aveu de la matérialité d’un fait ne peut être assimilé à la reconnaissance d’une responsabilité”), et des termes de la police.
En second lieu, le libellé de la loi est susceptible de relancer le débat sur l’assurabilité des amendes.
Le texte de loi fait état d’une “amende d’intérêt public”, le Rapporteur ayant précisé qu’il n’était “pas approprié de parler d’amende “pénale”.
L’assurabilité des amendes “civiles” / ”administratives” est réfutée par certains assureurs au motif qu’elle serait contraire à l’ordre public (article 6 du Code civil). Il est également objecté par les mêmes compagnies que l’assureur ne peut décharger le condamné du poids de l’amende sauf à enfreindre le principe de personnalité des peines (121-1 Code pénal), et qu’en tout état de cause les sanctions pénales et administratives sont assimilables.
S’agissant de l’atteinte à l’ordre public, et dès lors que la fonction du droit pénal est de réprimer les atteintes à l’ordre public mais que le parquet transige sans reconnaissance de culpabilité, on sent bien que l’argument est de moindre portée.
Enfin, la référence à la personnalité des “peines” ou à l’assimilation des sanctions pénales et administratives présuppose que l’ “amende d’intérêt civil” soit une peine. Or, à propos de la transaction pénale prévue à l’article L 173-12 du Code de l’Environnement, qui intègre une “amende transactionnelle”, le Conseil Constitutionnel a précisé que “les mesures fixées dans la transaction ne revêtent pas le caractère de sanctions ayant le caractère d’une punition” (n° 2014-416).
Autrement dit, il pourrait être soutenu que l’“amende d’intérêt public” répond à un régime distinct de celui des “sanctions” ou des “amendes civiles” ou “administratives”.
En l’état, on peut supposer que les premières propositions de CJIP1 vont créer quelques difficultés pour les dirigeants et les assureurs RCMS. Quant aux assureurs RC qui ne souhaitent pas être exposés au paiement d’amendes administratives (et sous réserve des clauses de leurs polices), sans doute faut-il leur recommander d’exclure formellement de leurs garanties les “conséquences pécuniaires” résultant d’une CJIP (avec un rachat pour l’indemnisation des victimes identifiées) ou les “amendes d’intérêt public”.
Pour plus d’information, contactez, Pierre-Olivier Leblanc, Avocat Associé, Paris, au +33 1 44 94 40 50 ou par email pierre-olivier.leblanc@hfw.com.
Footnote
- Selon Les Echos le parquet financier proposerait d’ailleurs à UBS une CJIP dans le dossier des “fraudes fiscales”.
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