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Les nouvelles règles en matière d'immunité d'exécution des Etats étrangers suite à la Loi
Sapin 2, Janvier 2017

La Loi Sapin 2 est venue modifier les règles relatives à l’immunité d’exécution des Etats étrangers devant les juridictions françaises en créant de nouvelles conditions liées à l’obtention de mesures conservatoires et d’exécution forcée à l’égard de ces Etats.

Contexte

Le droit français conformément au droit international public reconnaît, par principe, aux Etats étrangers et à leurs émanations une immunité en cas de saisies de leurs biens résultant d’une décisions de justice (“immunité d’exécution”).

La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique promulguée le 9 novembre 20161 (dite “Loi Sapin 2”) a modifié le code de procédure civile d’exécution (le “Code”) afin d’y incorporer de nouvelles règles relatives à l’exécution forcée de décisions rendues contre un Etat étranger.

Antérieurement, les règles relatives au principe d’immunité d’exécution des Etats étrangers étaient définies par la jurisprudence de la Cour de cassation. Considéré comme plus libéral que ceux des autres pays européens, le droit français avait, en effet, récemment évolué vers une exécution forcée plus aisée des décisions rendues contre des Etats étrangers.

Si la France est signataire de la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens du 2 décembre 2004 (“Convention de 2004”), cette convention n’est pas encore entrée en vigueur, faute d’un nombre de ratifications suffisant.

Pour autant, et par référence aux règles de la Convention de 2004, la Cour de cassation2 subordonnait la main levée de l’immunité d’exécution d’un Etat à la double condition que la renonciation à cette immunité soit (1) expresse (c’est-à-dire écrite sans ambiguïté) et (2) spéciale (c’est-à-dire portant sur des biens déterminés contractuellement par l’Etat).

Cependant, la Cour de cassation est revenue sur cette position en 20153 en n’exigeant plus de renonciation spéciale de la part de l’Etat, permettant ainsi une exécution forcée par voie de saisie de tous biens y compris ceux relevant de missions diplomatiques dès lors qu’il y avait eu renonciation expresse à l’immunité d’exécution. Ce revirement de jurisprudence avait eu lieu notamment au visa des dispositions de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 garantissant le droit d’accès à un tribunal au motif que l’immunité des Etats ne devait pas faire obstacle à l’exécution effective des décisions de justice.

Dans le cadre de la Loi Sapin 2, le Législateur a entendu revenir sur ce courant jurisprudentiel en définissant précisément les situations dans lesquelles le détenteur d’une créance reconnue par un jugement définitif peut procéder à son exécution forcée sur des biens appartenant à un Etat et notamment par voie de saisies.

Conditions d’exécution forcée des jugements rendus contre un Etat étranger

Conditions générales

Le nouvel article L.111-1-1 du Code dispose que des mesures conservatoires ou d’exécution forcée visant un bien appartenant à un Etat étranger ne peuvent être autorisées que si les conditions cumulatives suivantes sont respectées :

  • L’Etat concerné a expressément consenti à l’application d’une telle mesure ; et
  • L’Etat concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de la procédure ; et
  • Lorsqu’un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l’Etat concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu’à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l’entité contre laquelle la procédure a été intentée.

Le même article définit quels biens doivent être considérés comme un bien spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par l’Etat à des fins de service public non commerciales :

  • Les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales (“Biens relevant de Missions Diplomatiques”) ;
  • Les biens de caractère militaire ou les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions militaires ;
  • Les biens faisant partie du patrimoine culturel de l’État ou de ses archives qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ;
  • Les biens faisant partie d’une exposition d’objet d’intérêt scientifique, culturel ou historique qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ;
  • Les créances fiscales ou sociales de l’État.

Immunité autonome des missions diplomatiques

Au-delà des règles générales applicables à toute mesure conservatoire ou d’exécution, la Loi Sapin 2 prévoit des règles particulières s’agissant de la saisie de Biens relevant de Missions Diplomatiques.

Ce nouveau régime vient ici clore un débat existant sur la compatibilité entre droit international coutumier et immunité autonome des missions diplomatiques notamment sur le fondement de la Convention internationale de 1861.

Ainsi l’article L111-1-3 du Code prévoit dorénavant par principe que des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur des Biens relevant de Missions Diplomatiques.

Cette catégorie de biens doit donc faire l’objet d’une renonciation expresse et spéciale propre et autonome par l’Etat concerné.

Cas particulier des créances détenues par certains fonds spéculatifs

La Loi Sapin 2 a également introduit des nouvelles dispositions liées à l’exécution forcée de créance à l’encontre d’un Etat étranger à l’initiative du détenteur d’un titre de créance mentionné à l’article L. 213-1 A du code monétaire et financier ou de tout instrument ou droit mentionné à l’article L. 211-41 du même code présentant des caractéristiques analogues à un titre de créance.

Ces dispositions s’inspirent des législations adoptées au Royaume-Uni4 et en Belgique5 visant à empêcher certains fonds spéculatifs à réaliser des profits en acquérant des créances exigibles vis-à-vis d’Etats en difficultés financières.

Ainsi, aucune mesure conservatoire et aucune mesure d’exécution forcée visant un bien appartenant à un Etat étranger ne pourra dorénavant être autorisée par un juge français dès lors que :

  • L’Etat étranger figurait sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement établie par le comité de l’aide au développement de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (“OCDE”) lorsqu’il a émis le titre de créance ; et
  • Le détenteur du titre de créance a acquis ce titre alors que l’Etat étranger se trouvait en situation de défaut sur ce titre de créance ou avait proposé une modification des termes du titre de créance ; et que
  • La situation de défaut sur le titre de créance date de moins de 48 mois au moment où le détenteur du titre de créance sollicite du juge une ordonnance sur requête l’autorisant à pratiquer une mesure d’exécution forcée ou une mesure conservatoire (Voir point 4. ci-dessous).

La Loi Sapin 2 prévoit certains tempéraments aux conditions énumérées ci-dessus et notamment en cas de “comportement manifestement abusif” du créancier, en particulier avec la faculté d’allongement du délai visé au paragraphe iii ci-dessus à 72 mois.

Il convient également de noter que le créancier devra dorénavant communiquer, à peine d’irrecevabilité, l’acte par lequel il a acquis le titre de créance en question au soutien de sa demande d’acte conservatoire ou d’exécution forcée. Il devra également fournir l’intégralité des conditions financières de l’acquisition certifiées par un commissaire aux comptes.

Deux limitations importantes sont cependant prévues à ces règles :

  • Ces nouvelles règles s’appliqueront aux titres de créance acquises postérieurement à l’entrée en vigueur de la Loi Sapin 2 à savoir le 9 novembre 2016 ; et
  • Certains Etats sont clairement exclus de leur champ d’application, comme la Grèce notamment, qui ne figurent pas dans la liste des pays bénéficiant de l’Aide Publique au Développement de l’OCDE6.

Autorisation préalable du juge par ordonnance

Enfin la Loi Sapin 2 va plus loin que ce qui est prévu par la Convention de 2004, en instaurant une nouvelle procédure d’autorisation par voie d’ordonnance sur requête, nécessaire à toute mesure conservatoire ou d’exécution forcée contre un bien d’un Etat étranger.

En effet, cette nouvelle procédure entend constituer un filtre aux demandes des créanciers qui pourraient être considérées comme abusives.

Concrètement, le juge sera saisi par le créancier souhaitant obtenir une mesure conservatoire ou d’exécution à l’encontre d’un Etat étranger. Le juge statuera sans débat contradictoire afin d’éviter une dissimulation ou un mouvement des biens constituant l’assiette de la mesure demandée. La charge de la qualification des biens se trouvera ainsi inversée puisqu’il appartiendra au créancier de démontrer la nature saisissable des biens concernés.

Il est certain que la mise en place de cette nouvelle étape dans la procédure d’exécution forcée allongera les délais d’exécution et apportera une source supplémentaire d’incertitude sur la recouvrabilité de créances détenues à l’endroit d’un Etat étranger.

Conclusion

Les nouvelles dispositions issues de la Loi Sapin 2 devront impérativement être prises en considération lors de la rédaction des clauses de renonciation à l’immunité d’exécution figurant dans les contrats conclus entre opérateurs privés et des Etats hôtes, particulièrement dans le secteur des infrastructures ou de l’énergie. Elles modifieront significativement les procédures engagées visant au recouvrement des créances détenues à l’égard de ces Etats, nécessitant un audit préalable des créances et de la situation géopolitique de l’Etat débiteur concerné.

Footnotes

  1. Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vue économique n°2016-1691 en date du 9 novembre 2016
  2. Cass. Civ 1ère., 28 septembre 2011, n° 09-72.057 ; Cass. 1ère civ., 28 mars 2013, n° 11-10.450 et 11-13.323
  3. Cass, Civ 1ère , 13 mai 2015, n° 13-17.751
  4. Debt Relief (Developing Countries) Act 2010
  5. Loi du 6 avril 2008 visant à empêcher la saisie ou la cession des fonds publics destinés à la coopération internationale, notamment par la technique des fonds vautours M.B. 16 mai 2008 / Loi du 12 juillet 2015 relative à la lutte contre les activités des fonds vautours, M.B., 11 septembre 2015
  6. Pour la liste des apports au titre des années 2014, 2015 et 2016 https://www.oecd.org/fr/cad/stats/documentupload/DAC%20List%20of%20ODA%20Recipients%202014%20final%20FR.pdf

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